Camus
1ère diffusion : 6 janvier 2010


De «L'homme révolté» au «Premier homme» en passant par «La Chute», cette fiction revient sur les dix dernières années de la vie d'Albert Camus, prix Nobel de littérature en 1957.

 

Sur l'Express.fr, par Jérôme Dupuis, publié le 04/01/2010 (Merci à Philippe Thomas) :

   

    Noël 1959 approche. Son épouse Francine et leurs deux enfants, les jumeaux Catherine et Jean, le rejoignent à Lourmarin pour les vacances. On réveillonne joyeusement - 13 desserts au menu... - et on ouvre les paquets. Le 2 janvier, femme et enfants prennent le train du retour, en Avignon. On sait aujourd'hui qu'Albert Camus devait lui aussi rentrer par le chemin de fer, deux jours plus tard, en compagnie de son ami René Char. Il avait même déjà acheté son billet. Il ne s'en servira jamais.
    Car entre-temps sont arrivés à Lourmarin - au volant d'une Facel Vega... - Michel et Janine Gallimard, accompagnés de leur fille Anne et de leur chien Floc. Le neveu de Gaston Gallimard et son épouse sont des intimes de Camus. C'est entendu, Albert Camus rentrera dans la Facel Vega de ses amis. Le 3 janvier au matin, le romancier glisse donc dans sa serviette noire à soufflets son passeport, quelques photographies, le manuscrit du Premier Homme, un exemplaire du Gai Savoir, de Nietzsche, et une édition scolaire d'Othello.
    Nationale 7, déjeuner à Orange, puis remontée vers la Bourgogne, discussions animées sur les velléités théâtrales d'Anne Gallimard, encouragées par Camus, Nationale 6 et, enfin, halte pour la nuit au Chapon fin, deux étoiles au Michelin, à Thoissey, un peu avant Mâcon. Le dîner est joyeux : on célèbre les 18 ans d'Anne Gallimard.
    Au matin du 4 janvier, on repart tranquillement vers Paris. Bien qu'il aimât les puissantes voitures de sport, Michel Gallimard n'était pas, comme on l'a parfois laissé entendre, un "fou du volant". Il goûtait la mécanique et roulait beaucoup. Tout juste son ami Albert devait-il parfois le tempérer d'un : "Eh, petit, on n'est pas pressés", comme le confiera Janine Gallimard au biographe de Camus, Herbert R. Lottman.
    Les amis s'arrêtent à Sens pour un bref déjeuner à l'hôtel de Paris et de la Poste. Puis c'est la Nationale 5 jusqu'à Paris, Camus est assis sur le siège passager, les deux femmes à l'arrière. La voiture vient de passer Champigny-sur-Yonne et aborde une longue ligne droite bordée de platanes. Que s'est-il exactement produit à cet instant ? La Facel Vega sort de la route, frappe de plein fouet un premier arbre puis rebondit 13 mètres plus loin sur un second platane, autour duquel le châssis s'enroule. Les débris de la voiture, littéralement coupée en deux, sont éparpillés sur des dizaines de mètres...


Les Gallimard arrivent à Lourmarin en Facel (FV3B 58-228) pour Noêl.

























Une tentative d'explication des causes de l'accident dans "L'Automobile" de février 1960 (Merci a Pascal Masino) :


"[...] ( Concernant) l'accident du désormais tragique kilomètre 90 de la N.5 :
[...] En premier lieu, la défaillance humaine nous semble beaucoup moins probable que certains l'ont laissé entendre. 
[...] En ce qui concerne l'attitude du conducteur brutalement aux prises avec la défaillance de sa machine, en l'occurrence l'éclatement d'un pneu, nous avons acquis la certitude que Mr. Gallimard a fait face immédiatement, adroitement. Maîtrisant son véhicule pour le tenir en ligne, il s'est même efforcé de le ramener dans la partie droite de la route. Un malencontreux caniveau, petit creux de quelque huit centimètres tracé dans le bas-côté perpendiculairement à la route a joué dans ces ultimes fractions de seconde un rôle capital en ruinant les quelques chances de la manœuvre tentée par le conducteur pour éviter le platane.
Sans doute Mr.Gallimard a-t-il eu le tort de ne pas respecter les pressantes recommandations du constructeur qui souligne la nécessité de changer de pneus à 18 000 kilomètres. Sans doute a-t-il eu également le tort de ne pas accorder à la pression correcte des pneumatiques toute l'importance qu'elle mérite dès que l'on pratique des vitesses élevées.
Quoi qu'il en soit il avait de son véhicule une expérience qui remontait à plus de deux années. Mieux, avant d'acheter la voiture de l'accident, M. Gallimard avait possédé pendant une troisième et précédente année un modèle de la même marque. Cela n'a pas empêché l'accident.
[…] Il est évidemment difficile de contraindre les usagers à changer régulièrement leurs pneumatiques. En admettant qu'elle soit applicable, la mesure ne serait pas totalement efficace. En effet, il suffit d'un coup de trottoir brutal pour provoquer sur la chambre à air une zone poseuse de quelques centimètres carrés. Cette zone poreuse peut aboutir à ce qu'on appelle le "dégonflage rapide" dont les effets sont à peu près les mêmes qu'un éclatement. Ce qui, par conséquent, peut fort bien se produire avec un pneu presque neuf.
[...] Quelques kilomètres avant Villeblevin, la N.5 en légère déclivité, file en ligne droite entre deux rangées de robustes platanes. Le revêtement et en bon état, un peu plus usé sur les bandes de roulement latérales, en tout cas non dérapant. La Facel roule à vive allure. Soudain le pneu arrière gauche éclate. La voiture zigzague sur la route (fait observé par un témoin Mme Choquart, qui arrivait d'une petite route transversale, en avant et à gauche de la Facel).
M Gallimard, qui est au volant, parvient à conserver le contrôle de sa voiture jusqu'au moment où la jante vient au contact du sol. C'est alors qu'apparait dans l'asphaltite de la route une trace discontinue correspondant à un bord de la jante. Longue d'une soixantaine de mètres, elle s'élargit au fur et à mesure que la jante s'écrase.
Cette trace discontinue montre que la roue gauche crevée n'était pas bloquée (le contact jante et ensuite pneu le prouve aisément). Vers la fin la fin de cette courbe, à l'approche de l'arbre, d'autres traces en surimpression confirment que le pilote tâte les freins pour réduire la vitesse tout en maintenant la voiture en ligne. Malheureusement la roue avant droite se trouve déjà engagée sur le bas-côté où elle rencontre une rigole d'écoulement des eaux perpendiculaire à la route, profonde d'environ huit centimètres, large d'une cinquantaine, et à 4.65 mètres de l'arbre. D'où une impulsion à la direction qui jette la voiture en travers. La roue avant gauche prend contact avec l'arbre et le drame se déclenche. La roue avant gauche casse ses attaches ainsi que le support moteur. Par l'effet de la force centrifuge, l'arrière de la voiture est rappelé vers le champ et crée l'évolution décrite sur notre dessin -rotation en sens horaire et déplacement vers le second platane-, durant laquelle la roue avant gauche, son tambour et son trapèze, le moteur et la boîte sont projetés vers l'avant. Au terme de cette extraordinaire voltige, la Facel vient littéralement s'enrouler autour du second arbre. Quand aux passagers dont un seul (Albert Camus) est resté dans la voiture, ils ont eu le triste sort que l'on sait."


Le reportage de la Télévision sur place en 1960 (notez qu'une autre Facel est garée sur les lieux de l'accident), INA :



Le KGB aurait-il provoqué l'accident de la route qui a coûté la vie à l'écrivain Albert Camus, en 1960 ? C'est la thèse soutenue par un universitaire italien (LEXPRESS.fr le 08/08/2011).


Giovanni Catelli, spécialiste de l'Europe de l'Est, pense que le KGB serait à l'origine de l'accident mortel d'Albert Camus, le 4 janvier 1960. Il a exposé sa théorie dans les colonnes du quotidien italien Il Corriere della Sera. Le chercheur s'appuie sur une version du poète tchèque Jan Zabrana, évoquée dans son journal posthume Toute la vie.
Catelli s'est concentré sur un passage non traduit dans l'édition italienne où Zabrana fait état d'une rencontre avec un Russe proche du KGB et la raconte ainsi: "J'ai entendu une chose très étrange d'un homme qui sait beaucoup de choses, et qui dispose de sources pour les connaître", commence-t-il.
C'est lui qui aurait affirmé au poète que "l'accident de la route dans lequel est mort Camus en 1960 a été arrangé par l'espionnage soviétique. Ils ont endommagé un pneu de la voiture grâce à un outil qui lors d'une pointe de vitesse a tailladé ou crevé le pneu".
L'ordre de tuer Camus aurait été donné "personnellement par le ministre Chepilov", alors chargé des affaires étrangères soviètiques. Il aurait pris cette décision après que Camus l'ait attaqué dans un article publié dans le journal Franc-Tireurs en mars 1957. Camus lui reprochait la répression des insurrections en Hongrie, le nommant de façon explicite.

Une théorie qui ne convainc pas

Aussi séduisante soit-elle, cette théorie aux ingrédients dignes d'un James Bond ne convainc pas le philosophe français Michel Onfray, qui doit publier une biographie de l'auteur en janvier. "Je ne ne crois pas cela plausible, le KGB avait les moyens d'en finir autrement avec Albert Camus", a-t-il confié.
Surtout, "ce jour là, Camus devait en fait rentrer par le train. Il avait même son billet, et c'est au dernier moment qu'il a décidé de rentrer avec Michel Gallimard (neveu de l'éditeur Gaston). D'ailleurs, la voiture était celle de Gallimard", a-t-il souligné, notant également que la Facel Vega était une voiture qui "ne tenait pas la route". "Que les Soviétiques aient eu envie d'en finir avec lui (Camus), c'est sûr, mais pas comme ça", a-t-il souligné.

Des hypothèses invérifiables

Vojtech Ripka, de l'Institut pour l'étude des régimes totalitaires de Prague, est lui aussi très circonspect: cette théorie "ne peut pas bien sûr être vérifiée (...) Toutes les choses intéressantes que le StB (la police secrète communiste tchèque) a trouvées et que les Soviétiques voulaient sont allées directement là-bas (à Moscou). Les Russes ne vous laisseront pas mettre votre nez la-dedans."
Mais Giovanni Catelli insiste:
"Bien sûr,il avait projeté à l'avance de rentrer par le train, avec René Char : mais dans les jours précédant le départ, Camus et les Gallimard avaient manifesté à beaucoup de personnes de leur cercle leur décision de rentrer en voiture ensemble. Ces propos avaient été communiqués par téléphone, lettre et conversations: l'éditeur Fayard avait déconseillé Gallimard de partir en voiture. Quelqu'un contrôlant Camus et les Gallimard aurait pu facilement connaître leur propos. Si vous [Michel Onfray] pouviez lire le document complet, on parle clairement du fait que les espions ont dû attendre presque trois ans l'occasion d'agir. Je serais heurex de discuter avec vous sur ce thème, et je pense que ce sera peut-être la dernière occasion pour rétablir la vérité, avant que la vague du temps n''efface les dernières preuves. On le doit à la memoire d'Albert Camus."

Le mystère risque en tout cas de planer encore longtemps sur la mort du plus jeune Nobel de l'Histoire (en 1957 à 44 ans) et auteur de La Peste et de La Chute. Il était à bord d'une Facel Vega qui roulait à toute allure en direction de Paris et qui a fini contre un arbre à 24 km de Sens.

Ecrivain engagé, il avait protesté contre la répression sanglante des révoltes de Berlin-Est (juin 1953) et contre l'expansionnisme communiste à Budapest (septembre 1956).

Quelques photos du tournage avec FV3 57-172, voiture de Pierre-Henry Portron (Merci à Emmanuel Méry et à Jean Marie Droisy)





















Un reportage complet sur le tournage a été publié dans "Son Excellence" No 104.

 

Le dessinateur Thierry Dubois a rendu hommage à ces tragiques événements : dans le livre "C'était la Nationale 7" aux Editions Paquet.




Le 4 janvier 2010, a été commémoré le 50ème anniversaire de l'accident de la Facel Vega de Michel Gallimard. Un groupe d'amis, dont Thierry Dubois et le président de l'Amicale Facel Vega, était sur les lieux à la même heure, avec une voiture identique. À cette occasion, un dessin original fut remis à chacun des participants...



A l'occasion de la rediffusion de ce téléfilm le 5 novembre 2012, Jean Louis nous dit sur le Forum Mercedes avoir été sur les lieux de l'accident dans la voiture de ses parents : http://mercedes-benz.forumactif.com/t74630-accident-albert-camus-facel-vega (Merci à Charles-Henry Couvrat)

 

"Avez vous regardé le film admirable hier soir sur France 5 qui retraçait la vie d Albert Camus ? J'avais 14 ans, j étais dans la voiture de mes parents et nous avons été double une heure avant ce terrible accident par la Facel Vega HK500 (ndlr : il s'agissait en réalité d'une FV3B) conduite par Michel Gallimard ! Et je me souviens très bien de la voiture coupée en deux enroulée autour d un platane... C était un retour de vacances de Noël"
"Et ce que je viens de découvrir est EXTRAORDINAIRE !
regardez ce document de l'INA : http://www.ina.fr/economie-et-societe/vie-sociale/video/CAF90037025/accident-albert-camus.fr.html
La voiture qui passe sur la route au ras de l'arbre (au bout de 10 secondes) est la voiture de mes parents avec moi dedans ! La voiture qui suit est une Simca Aronde."







"Pour terminer voici la photo de la BORG-WARD : Cette photo a été prise à Paris, Boulevard Voltaire, en 1951 lorsque la BORG-WARD HANSA 1500 était neuve ! Et mon père est à côté de la portière gauche."